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Qatar 2022 Un legs insoupçonnable pour une Coupe du Monde

Dernière mise à jour : 13 févr. 2023


Qatar 2022

Un legs insoupçonnable

pour une Coupe du Monde

Beatriz Vélez Groupe PatteART

Chercheure en socio-anthropologie de la mise en scène du football, Associée à l’IREF, Québec, Canada Auteure du livre Football et érotisme au masculin. Une anthropologue au stade.

Instigatrice culturel et artistique en football

Introduction


Le terme football peut embrasser de multiples réalités puisqu’il est profondément inséré dans la société et dans la vie quotidienne. Il peut également être vécu dans les plus divers scénarios et peut prendre aussi diverses formes dont toutes, ou presque toutes, sont reconnues comme "passion­nantes" par ses protagonistes. Certaines règles du jeu permettent des expériences qui apportent un plaisir partagé et ressenti dans tout le corps, qu'il soit pratiqué ou vu.


Les états d’âme stimulés par ce jeu renvoient au thème de l'érotisme, un composant extrêmement complexe de la vie humaine dont la valeur et l'importance dans le football sont d'autant plus grandes. En effet, l'enchevêtrement des mouvements corporels et la légèreté de l’équipement propres à cette discipline sportive fait travailler l’imagination psycho-matérielle. Des amoureux du football ont déjà souligné ces faits et ces sentiments. Eduardo Galeano, par exemple, exalte la sensualité portée par le "toucher" chez un bon joueur qui, avec son pied doué, semble caresser le ballon. Dans la même veine, le footballeur Éric Cantona considère avec impertinence qu’un ballon et une femme sont équivalents en ce qui concerne leurs "besoins amoureux". Selon ce joueur, "les deux" demandent la même délicatesse de traitement, car un ballon, comme une femme (sic), aime les caresses, pas les coups de pied.


Nous dirions alors que, dans la culture du football, le thème de l'érotisme passe par une chaîne de signification qui lie, par équivalence, la matérialité corpo-sexuelle des femmes et des hommes avec les éléments du jeu. Observation qui a été confirmée par la documentation concernant le football comme activité humaine solidaire des représentations sociales du genre. Dans le même sens, la corporéité des femmes, comprise comme LA "différence radicale" par rapport au corps-référence (celui des hommes), s'exprime dans le football comme une espèce d’érotisme dont l’attention se limite les particularités sexuelles. Cette question entrave la position des femmes dans le football, car les footballeures sont davantage désirées comme des "poupées" et non comme des championnes.


Une telle perspective de sens, réitérée avec simplicité dans les chants, les insultes, les plaisanteries, les gestes, les comportements dans les stades, les salles de réunion, a été rendue "pertinente" jusque dans la cérémonie de remise du gant d'or au Qatar 2022. Une Coupe du monde au cours de laquelle la dimension de l'érotisme toujours présente dans le football, s’est impertinemment infiltrée de façon tout à fait inattendue.


En effet, le fait tangible d'un stade spécialement conçu pour cet événement par une architecte, et en particulier l’association du toit à un vagin géant est devenue le révélateur de la réalité de la pulsion érotique, tout en marquant d'une trace indélébile l'héritage de cette 22e édition.


Pour conclure cette introduction et faciliter la compré­hension de cet héritage sans doute unique, quelques brefs rappels de l'Anthropologie fondamentale s'avèrent utiles.


Le chercheur Edgar Morin nous rappelle que, dans notre espèce sapiens-sapiens, les forces physico-psychiques de l'érotisme et d’autres pulsions, entrent en ligne de compte dans notre complexe comportement par ses traits excessifs dont certaines expressions évoqueraient plus le côté démens que sapiens. Un exemple de cette tension serait la capacité humaine à passer sans médiation des pleurs au rire ou vice-versa, ainsi que les spasmes émotionnels du plaisir qui nous étouffent parfois.


Pour la psychologie des profondeurs (Psychanalyse), nous, les humains, venons au monde avec un déficit d'amour en raison de notre "naissance prématurée" et pour cela en dépendance totale de la rencontre communicationnelle avec les autres.


Ainsi, ces deux conditions : un comportement complexe par ses traits excessifs et le manque d'affection congénital, font de toute vie humaine une sorte de quête de moyens pour sans cesse tenter de combler le manque d'affection et pour résoudre les problèmes dérivés d’une dynamique déter­minée par ces traits fondamentaux.


Pour cette raison même, notre chemin est peuplé de récits imaginatifs. L'un d'eux désigne Éros comme un ensemble de forces puissantes de création et de destruction qui nous assaillent. Associé à l'amour entre autres signifiants (on meurt d'amour ou, par amour, on peut provoquer la mort), de telles forces sont présentes dans tout acte humain dont l'exercice demande de compter sur d'autres personnes. Nous dirions qu'Éros est présent dans presque tous nos actes en tant qu'animaux sociaux.


Enfin, pour conclure ce point et revenir au football, il suffirait de dire que ce jeu insensé (Vélez, 2011, Football et érotisme au masculin. Une anthropologue au stade) entre dans la catégorie des exercices où la présence d’autrui constitue une condition essentielle puisque ni jouer ni jouir ne sont pleinement possibles en s’appuyant uniquement sur soi-même.


Un stade. Le fil conducteur de l'héritage érotique de la Coupe du monde 2022.


Le stade Al Janoub, dans la ville d'Al Wakrah, a donné un sens inédit aux transactions d’achat et de vente qui ont marqué ce rendez-vous des nations. En effet, le stade est devenu le porteur de l’héritage de l’érotisme laissé par cette coupe au Qatar, autant par la nature artistique de l'œuvre que par l'introduction d’un fil de signification charnelle inattendue dérivé de l’interprétation que les hommes du football ont attribué à son design. Conçu par une femme, l’appel à l’art d’une architecte pour la première fois dans une édition de la Coupe du monde signale une ouverture culturelle de la direction de l’organisation de l’évènement que nous applaudissons sans aucun doute. Mais c’est l'événement sportif lui-même, la tournure de cette approbation, qui a ratifié, probablement sans le vouloir, la présence d'un Éros créatif et destructeur dans la scène du football.


L’origine de cet Éros créatif remonte à 2013, lorsque l’architecte d’origine irakienne, Zaha Hadid, a proposé une maquette en 3D pour le stade Al Janoub. Selon l’architecte, la maquette en forme de coquille installée sur le toit du stade fait référence aux voiles des bateaux de pêche aux perles gonflées par les vents de l'océan Indien. Or, lors du dévoilement de la maquette, les personnes présentes, hommes de la presse et du football en ont vu la représentation athlétique d'un vagin géant.


À cet égard, Hadid a souligné ce qui suit : "Puisque notre objectif n'était pas de reproduire exactement la structure d'un bateau traditionnel, le concept a tenté d’aller vers la création de quelque chose de dynamique qui pourrait être interprété de différentes manières".


Pour notre part, nous aimerions également entendre l'interprétation de fond des hommes, des femmes et d’autres diversités sexuelles à cet égard, car il s'agit de nourrir la conversation entre différentes manières possibles de "voir" et de "sentir" notre vie humaine tourmentée et passionnée.


Cette architecte a ouvert "officiellement" la porte à l'entrée d'Éros dans le football. Nous, quelques personnes et artistes du football, voudrions la maintenir ouverte pour continuer à nourrir une conversation sur les fondements des transmutations du sens de la charnalité ainsi amenées. Et pour aussi entamer une réflexion sur l’impérieuse nécessité de nommer les forces de l'imagination, du désir, du fantasme qui animent les déplacements corporels dans la scène du jeu.


La Coupe du monde de football au Qatar nous a laissé l'érotisme comme un héritage inépuisable à travers le fil "d'un stade, d'une architecte, d'un corps de femme". Une conversation qui semble déjà probable entre les nations. Pour l'illustrer, nous vous proposons cette lecture sonore et visuelle dans les liens suivants :







 
 
 

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